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Le rire est thérapeuthique, mais... tous les rires sont-ils bons ?

Le rire est thérapeuthique, mais... tous les rires sont-ils bons ?

Y a-t-il de mauvais rires ?

Je fais souvent la distinction entre trois types de rires : le rire avec l'autre qui est un rire de partage, le rire seul, qui peut être pathologique, d'ailleurs, et le rire contre les autres : le sarcasme, la moquerie, le rire méchant ou machiavélique.

Peut-on rire aussi contre soi ?

Oui, c'est la dérision, le rire qui indique que je ne veux pas me prendre au sérieux, mais c'est admissible, c'est même un bon rire. Je me prends la main dans le sac... Les Juifs, par exemple, sont doués pour ce rire : on se moque de soi ou de sa communauté. Mais on peut aussi avoir un rire sarcastique et destructeur contre soi-même. Ça prend sa source au même endroit que le rire contre les autres : je ne m'aime pas, je n'aime pas les autres. Je peux rire de mes bourrelets, par exemple, mais soit avec bienveillance, soit au contraire, en m'envoyant le message que je suis nulle. 

Où se trouve la frontière entre ces deux manières de rire qui semblent opposées ?

Le point de départ, selon moi, c'est le coeur. Le mauvais rire, c'est tout ce qui est dans un état de jugement, de destruction, de méchanceté gratuite. C'est le cas dans beaucoup d'émissions de télévision en ce moment, je trouve. Des émissions qui sont faites pour tailler des shorts aux autres dans une atmosphère de complaisance. Tout le monde trouve ça normal.

Arthur [l'animateur télé, ndlr] est un expert pour ça. Parfois, il rit de lui-même. Jusque-là c'est ok. Mais souvent, on se dit qu'il a convié ses invités pour leur tailler un costard en public. Et je ne parle pas de Touche pas à mon poste avec Cyril Hanouna. En fait, je me demande à quel endroit ce type de rire fait du bien. Je ne sais pas... En réalité, lorsque les gens sont conscients du jeu dans lequel ils sont entrés, ça passe encore. Par exemple Eve Angeli, qui se fait plus idiote qu'idiote pour faire sa promotion. Un peu comme Nabila... On espère toujours que ces personnages sont conscients qu'on se paye leur tête, sinon c'est l'arène, les lions, une cruelle mise en pâture…

Baudelaire, au risque de caricaturer son propos, notait dans L'Essence du rire, que le rire est diabolique, donnant justement l'exemple d'un homme qui fait une chute et suscite le rire des autres. Il part aussi de l'observation que Jésus n'a jamais ri... Qu'en penses-tu ? 

Je ne suis pas tout à fait d'accord, non. Le rire peut être diabolique, méchant, affreux, mais il peut être magnifique. Le contrepied au premier, justement, c'est de rire avec l'autre ou pour rien. Comme les enfants. Pour Jésus, cela reste à prouver. Dans la Bible, on trouve le rire de Sarah à l'annonce qu'elle va enfanter, ce qui est donc le point de départ d'une naissance. Bouddha est toujours représenté en train de rire. Le rire est l'activité préférée du dalaï-lama, comme il aime le répéter. C'est quand même le représentant contemporain de cette religion.

Peut-on rire à tout propos ?

C'est une question difficile. Répondre par un oui global ou un non catégorique, reviendrait à ne pas répondre à la question. Alors je dirais que chacun a ses limites. Personnellement, il y a des blagues auxquelles je ne pourrais pas rire. Si on m'en sort une sur un pédophile, sur la Shoah, sur des massacres, il y a de fortes chances que je ne puisse pas rire. Un exemple : une blonde qui va entendre à longueur de journée des blagues sur les blondes peut très bien rire si elle a l'esprit ouvert et qu'elle ne se prend pas au sérieux, mais à un moment, elle sera forcément blessée dans son identité. Je renverrais chacun à trouver ce qui le dérange.

Comment te sens-tu avec un journal comme Charlie Hebdo, qui ne s'interdit aucun sujet ?

Un journal, j'ai toujours la possibilité de l'acheter ou de ne pas l'acheter, de le lire entièrement ou partiellement. Rien ne m'est imposé. L'enjeu est également clair dans ce cas : faire rire est leur métier, au même titre que les humoristes dont je suis libre de payer ou non pour leurs spectacles.

Quels sont tes outils pour reconnaître un beau rire, que tu payerais (!) pour entendre ?

C'est un rire qui met tout le monde à l'aise, qui est franc, qui ne blesse personne. Il y a une expression populaire qui dit « rire de bon coeur ». On a tous en nous ce coeur qui permet de faire la distinction entre un rire généreux, spontané et un rire étouffé, un rire jaune, un rire sous cape... un rire qui fait du bruit. Moi qui suis très auditive, par exemple, je suis sensible au son lui-même. Il y a des rires qui me font imaginer des cascades de perles scintillantes. Autre signe : le climat que le rire apporte. Certains rires sont lumineux et communicatifs, d'autres ténébreux et gênants. Dans notre livre [ndlr : Le Rire pour les nuls, éditions First, mars 2013, préface de Corinne Cosseron], on parle de ce scientifique chinois qui est parvenu à mesurer la spontanéité du rire. Il a calculé par exemple le laps de temps qui s'écoule entre le moment où le cerveau reçoit le signal qu'il peut rire et le moment où le diaphragme se met en mouvement. Il a tiré une nouvelle mesure pour déterminer le niveau de spontanéité du rire, par rapport au rire de courtoisie. C'est le « ah ». Les enfants en ont 10 par seconde, deux fois plus que les adultes. Les vibrations du diaphragme lui ont permis aussi de distinguer le rire cynique du rire de dérision. Il dit avoir montré « la clé d'un des secrets de l'âme...».

Pour rire de bon coeur, il s'agit donc de retrouver son âme d'enfant ?

Pour ma part, lorsque je ris, j'arrive très bien à distinguer si je suis nourrie ou si je fais de la mondanité. De la part des autres, c'est la même chose. Il y a des rires qui flattent mon esprit – qui vont chatouiller mon esprit français, qui aime bien railler – mais qui ne nourrissent pas mon coeur.

Tu as des exemples ?

Oui, par exemple Elie Semoun. Je trouve son talent extraordinaire. Je vais rire quel que soit le sujet. Il est parfois un peu méchant, mais mon esprit adhère, en revanche mon coeur n'est pas nourri. Mon coeur se fait avoir, on pourrait dire... Pareil avec Gad Elmaleh. Il est génial. Cet homme-là pourrait critiquer les femmes, faire de l'humour sur les Ch'tis (je suis du Nord), mon esprit adhère totalement.

Peut-être parce que c'est gentil, justement...

Peut-être. En tous cas , je me sens en relation avec le personnage. Je sais que d'une certaine façon, nous  « jouons ensemble ». Il y a quelque chose de franc : à aucun moment, je ne me demande s'il pense vraiment ce qu'il dit. Alors qu'un humoriste, je ne sais plus lequel, me laisse une impression de malaise lorsqu'il mime qu'il urine sur le public. Ça ne passe pas. 

Quels sont les humoristes qui touchent ton coeur ?

Là, je pense à des films. Celui de Dany Boon, Les Ch'tis, un des premiers à avoir été totalement dans l'autodérision. On a retrouvé ça plus tard dans Intouchables, qui a réussi à montrer avec une justesse touchante un infirme qui se moque de lui-même.

Un religieux disait que l'humour est le petit frère de l'amour, tu es d'accord ?

Ça dépend toujours de quel humour en parle. D'un humour éclairant, tendre, ou d'un humour destructeur ? Dans le premier cas, oui, c'est un fruit de l'amour. En fait, c'est la même chose avec cet adage célèbre de Bergson : « Le rire est le propre de l'homme ». Ce n'est pas du rire dont il parle, mais de l'autodérision. Le rire, d'abord n'est pas le propre de l'homme. Il a été démontré que les animaux rient. Je vous invite à lire le livre du scientifique Robert Provine, Le rire, sa vie, son oeuvre. Le plus humain des comportements expliqué par la science. C'est le fruit de dix ans de recherches... Robert Provine a chatouillé des souris ! Et mesuré les secousses sonores qu’elles émettaient en les apparentant  à des rires... Non, ce qui est le propre de l'homme, c'est de poser le choix de rire d'une manière apparentée à l'amour ou d'une autre qui détruit. De dire oui ou non. C'est cette responsabilité qui est le propre de l'humain. C'est un choix éthique à faire. 

Mais si le rire est spontané, difficile de faire la part des choses au moment où l'on s'esclaffe...

C'est un choix que nous avons de manière globale : comment vais-je alimenter mon rire, quel humoriste vais-je aller voir ? Au fond, je pense qu'il y a des rires qui nous élèvent, qui élèvent notre âme, et d'autres qui sont moins spirituels ou pas du tout. Ce n'est pas pour rien que le mot signifie à la fois spirituel et drôle. Un humour qui n'est pas spirituel n'est pas drôle. À nous d'entretenir le bon en nous.

Doit-on rire quand on est triste ou quand on a peur ?

Non. Quand on est triste, on doit pleurer, si possible dans les bras de quelqu'un. Il faut d'abord se dégager de l'émotion, obtenir du réconfort. Quand on a peur, on a d'abord besoin d'être rassuré. Je pratique le rire dans les entreprises, mais il serait malvenu de proposer ça comme solution à un groupe de salariés qui vient de se faire licencier, par exemple. On ne peut pas rire à toutes les sauces. C'est aussi une question de bon moment.

Le bon rire respecte la temporalité de l'autre?

Oui, c'est exactement ça. Après les attentats de janvier 2015, dans le club de rire que j'animais, on n'a pas pu rire tout de suite. On a d'abord fait une minute de silence. Puis j'ai invité les participants à exprimer leurs émotions. On a ensuite fait des exercices sur la colère, sur la tristesse... On a passé au moins 30 minutes avant de commencer une méditation du rire, qui a été très belle d'ailleurs. Dans les clubs de rire, il est courant que des personnes soient en décalage parce qu'elles sont tristes, mais elles ont choisi de venir. Dans les entreprises, c'est plus difficile parce que c'est parfois perçu comme quelque chose d'imposé par la direction. Le bon rire, tout spontané qu'il est, n'est pas forcé. Il part d'un choix libre. C'est un oui à la vie.

 

Pour en savoir plus : www.ecolederire.org ; le site de Martine Medjber et Sophie Gormezano www.rirentreprise.fr

(Photo ©David Ken : Martine Medjber vue par le LOL Project).

 

À lire sur notre site : Hasya yoga : morts de rire, on est plus vivants

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