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La mode éthique prend enfin ses marques

La mode éthique prend  enfin ses marques

Depuis vingt ans, l’industrie du textile s’est largement démocratisée, et les pays occidentaux sont confrontés à l’extrême concurrence des pays à faibles coûts salariaux. La plupart des vêtements vendus dans les grandes enseignes sont fabriqués aujourd’hui en Asie (Inde, Chine, Thaïlande) et dorénavant aussi en Éthiopie, au mépris, le plus souvent, de l’environnement, des travailleurs et des individus qui les portent.

À la veille de la Fashion Week de Milan en début d’année, Greenpeace publiait ainsi un nouveau rapport pour révéler la présence de produits chimiques dangereux dans les vêtements pour enfants de certaines des plus grandes marques internationales de haute couture, avec une très mauvaise note pour les marques françaises…

Une définition floue

Après les années 1970 baba cool et leurs écharpes en laine naturelle et gilets des Andes, c’est avec la création par Isabelle Quéhé de l’Ethical Fashion Show à Paris, en 2004, que le terme « éthique » s’est appliqué à la mode. Ce terme un peu flou – il n’existe pas de définition officielle – se retrouve aujourd’hui sous un flot de petites et grandes marques. Toutes revendiquent des normes de commerce équitable et un esprit écolo avec, pour les unes, obligatoirement une matière première biologique, pour les autres, des matières premières bio lorsque c’est possible seulement. C’est ce qui caractérise la mode éthique : dans un premier temps, le recours par les créateurs à des matières écologiques, biologiques, voire recyclées, puis l’utilisation de matériaux naturels ou non polluants, notamment pour les teintures. À la clé, une réduction de l’impact écologique.

Le caractère social de la fabrication est un plus : engagement social de l’entreprise, processus de production plus humain, salaires supérieurs à la moyenne ou encore temps de travail limité. « Pour moi, la mode éthique, c’est d’abord l’équitable, explique Céline Chevalier, qui tient la boutique La Halle Éthic à Valence (1) : comment respecter la planète si on ne respecte pas les humains ? ». Au regard du commerce équitable, la mode a longtemps été considérée comme antinomique d’équitable et d’éthique. Comme un symbole de futilité et a priori de valeurs peu équitables, tous les peuples n’y ayant pas accès et les entreprises du textile étant pointées du doigt pour leurs dérives sociales.

Prix humain caché

La mode, vouée à des cycles courts saisonniers, paraît de prime abord difficilement associable au développement durable. Le secteur du textile est de plus entré dans une folle économie mondialisée, dont chacune des étapes de production est une occasion de laisser entrer un polluant… Le millier de morts et davantage de blessés dans l’effondrement des usines textiles du Rana Plaza au Bangladesh en avril dernier ont secoué l’opinion.

Ses employés fabriquaient des vêtements pour des marques européennes, américaines et canadiennes bien connues. Mango, Benetton, Primark, El Corte Ingles, Le Bon Marché et Loblaw, qui y faisait fabriquer sa marque de vêtements Joe Fresh.

Remonter le fil

« Fashion mais pas con » est ainsi devenu le slogan du Collectif Ethique sur l’étiquette, auteur d’une pétition en ligne pour exiger des marques qu’elles prennent leurs responsabilités à travers des mesures concrètes et immédiates. Et que le devoir de vigilance des multinationales soit inscrit au calendrier parlementaire, afin que ces dernières soient juridiquement responsables de leurs actes à l’étranger. Difficulté : les fabricants textiles eux-mêmes, en Europe, ne connaissent pas l’origine exacte des fibres ou des vêtements qu’ils commercialisent… La filière est si compétitive et complexe sur le plan mondial, qu’elle rend la traçabilité des produits presque impossible !

Le bio, dans ce contexte, a eu du mal à se tailler une chemise, malgré une progression nette sur le marché. Entre 2008 et 2009, 175 000 tonnes de coton bio ont été récoltées, soit une augmentation de 20 %. Entre 2008 et le milieu de l’année 2010, le nombre des entreprises textiles certifiées GOTS, le label le plus exigeant qui intègre toutes les étapes de la transformation du textile, depuis la fibre jusqu’au produit fini, est passé de 26 à 2 800.

En matière de fibres dites écologiques, le coton, solide, facile à entretenir et absorbant, est le plus utilisé au monde (la moitié des produits textiles). Les quantités demandées par le marché étant énormes et les parasites nombreux, la culture conventionnelle de la plante induit beaucoup de pesticides (selon l’OMS, elle en drainerait environ 10 %), une forte consommation d’eau et des OGM. La production d’un
t-shirt peut ainsi nécessiter jusqu’à 25 000 litres d’eau et émettre 5,2 kg de CO2, autant que 27 km en avion ! Contrairement à ce coton, le coton bio est certifié (certains référentiels intègrent seulement la culture du coton, d’autres, toutes les étapes de transformation du textile), cultivé sans pesticides avec une fibre blanchie à l’eau oxygénée et non au chlore. À condition que les teintures soient réalisées sans utiliser de métaux lourds ni de produits toxiques, il est anallergique et non toxique pour la peau.

La marque Nativo, basée à Millau, dans l’Aveyron, propose des créations certifiées issues d’une des plus anciennes espèces de coton, le Gossypium barbadense Malvaceae, naturellement coloré et cultivé au Pérou. Sa fibre pigmentée d’une gamme allant de l’écru au brun-rouge et au vert évite le recours à l’application de teintures.

Cultivé aussi en bio : le lin. « On commence à trouver des filières en France mais portées par de petites structures, comme Bio Tissus, des Bretons qui font de gros efforts pour favoriser l’émergence d’une filière de lin biologique », explique Paul Boyer, fondateur avec Marie Cabanac, en 2003, d’Ethic Wear. « C’est rageant parce que 70 % du lin biologique mondial est récolté en Normandie où il n’y a plus de fileurs, 80 % de ce lin normand part donc en Chine avant de revenir sous forme de tissus ou de vêtements ! ».

Une filière européenne timide

À la fois anallergique, antibactérien, isolant et régulateur de la température du corps, le lin bio reste par ailleurs une fibre compli­quée. Écologiquement, elle est irréprochable, ne nécessitant pas de désherbants, n’épuisant pas les sols. « Mais, précise Paul Boyer, la fibre du lin bio contient des impuretés et n’est pas aussi fine que le lin conventionnel. On trouve parfois de petites boules sur le fil, ça fait plus rustique mais c’est plus contraignant en mode. » Le lin bio normand, le plus qualitatif au monde, se vend donc moins cher que le lin conventionnel, ce qui n’est pas rentable pour les producteurs. En revanche, il y a des lins non bio, mais qui utilisent aujourd’hui moins de chimie. Chez Ethic Wear, en attendant la filière lin bio, on utilise du coton bio.

Les vêtements en chanvre étant tout aussi résistants, de plus en plus de créateurs s’intéressent à cette fibre, dont la culture, qui enrichit la terre, nécessite peu d’eau et pas de pesticides, la plante étant naturellement résistante aux insectes. Il est sorti peu à peu de son image rustique et ringarde pour devenir une matière en vogue. Mais voilà, le chanvre actuel vient… de Chine. « On ne peut pas faire un tissu avec des quantités industrielles lorsque l’on est artisan, c’est très coûteux, même si c’est une belle matière », explique Jean Boyer, qui déplore que les nombreux chanvriers allemands rencontrés lors de salons « travaillent tous avec la Chine ». Le créateur aurait aimé travailler la matière, « mais localement, or nous manquons de fournisseurs ». Selon lui, la filière chanvre européenne est encore timide.

L’ortie, une alternative

Autre matière prometteuse qui gagne à être (re)connue : l’ortie. Cette plante abondante, qui servait autrefois à la fabrication des cordages, des fils, voire de vêtements, pourrait revenir sur le métier à tisser comme alternative au coton. Ses nombreuses qualités écologiques et la nature de sa fibre, légère et solide, intéressent l’industrie textile. L’ortie, qui a une teneur élevée en éléments fertilisants, ne nécessite pas d’irrigation.

Sa tige creuse permet de moduler sa capacité isolante : on peut tordre les fibres pour limiter leur capacité à emprisonner de l’air et créer une fibre fraîche pour l’été. La société italienne de recherche et de développement Grado Zero Espace a fabriqué un textile à partir de l’ortie. Aux Pays-Bas, c’est l’entreprise Brennels qui la cultive pour fabriquer des jeans. Des pièces encore coûteuses (environ 200 € le jean), qui verront leur prix baisser lorsque la production d’orties sortira de la confidentialité.

Le bon bambou

En attendant que l’ortie puisse se piquer d’habiller nos jambes, la culture du bambou progresse. Celle-ci ne nécessite ni engrais, ni produits phytosanitaires. La fibre est si tendance que la Chine a décuplé ses exportations. Mais attention, encore faut-il différencier la fibre de bambou et la viscose de bambou. La première, très écologique, traitée selon des procédés naturels comme la vapeur ou l’ébullition, est onéreuse et réservée à des produits haut de gamme. La seconde, nettement mois chère, provient toujours de la tige mais nécessite de nombreux traitements chimiques – soude, sulfure d’hydrogène, disulfure de carbone – et beaucoup d’eau. Moins écolo, donc.

La laine toujours à la peine

Des filières de laines bio existent également, mais elles connaissent quelques difficultés. En cause, la diminution du cheptel ovin, le désintérêt des éleveurs, l’absence de relations avec les transformateurs, sans oublier le développement des fibres synthétiques. « Nous avons fait une année superbe avec une laine de moutons bio et lavée à la source… Les clientes n’ont pas supporté car la laine grattait », regrette Jean Boyer, toujours en recherche d’un fournisseur satisfaisant.

Solution alternative, les Filatures du Parc, seule filature restante du Tarn, ont déposé, il y a six ans, un brevet de fabrication sur un système qui permet de réaliser des fils 100 % recyclés à partir de déchets de coupes de confection. « Il faut bien choisir les entrants, les matières récupérées, repérer leur origine, celle du fil, les dépouiller de tous les corps étrangers (le délissage). On les envoie ensuite en Italie pour le défibrage : la fibre est extraite du vêtement pour concevoir un nouveau textile », explique Fabrice Lodetti, qui a succédé à son père à la tête de cette filature familiale, créée en 1975. Le tout revient sous forme d’une matière première propre à être utilisée à nouveau, sans teintures chimiques puisqu’elle est déjà colorée. Les fils recyclés représentent plus de 30 % de l’activité de cet établissement, avec une demande croissante. Les marques sont de plus en plus nombreuses à vouloir intégrer de la maille recycléedans leurs vêtements.

 

Patagonia, la haute techno

D’autres matières issues de la récupération ou du recyclage peuvent trouver une seconde vie. Patagonia, l’entreprise californienne de vêtements et de matériel de plein air, dont le fondateur Yvan Chouinard est un pionnier dans le domaine des vêtements éthiques et écologiques, s’est donnée pour objectif de faire les meilleurs produits possibles en ayant le moindre impact sur l’environnement.

Ses matériaux sont durables et recyclés à 60 %. La marque, qui n’utilise que du coton bio, a créé des tissus déperlants polaires en Synchilla, une fibre fabriquée à partir de bouteilles en PET recyclées. Elle utilise aussi du chanvre, non certifié mais cultivé de façon biologique, de la laine recyclée ou encore du Tencel.

Pulpes de bois

Cette autre fibre recyclée est le nom déposé de la fibre de cellulose Lyocell produite à partir de pulpe d’eucalyptus. Les arbres poussent dans des plantations certifiées Forest Stewardship Council (FSC). Cette pulpe de bois est dissoute dans un solvant naturel non toxique, récupéré ensuite à 99 %, puis recyclé, ce qui permet d’économiser de l’énergie et de l’eau. Le Tencel ne requiert pas de produits chimiques nocifs comme le formaldéhyde, parfois utilisé pour produire ce type de tissu. Cela donne une fibre chaude comme la laine, absorbante comme le coton et biodégradable.

L’écolo ne va pas de soie

D’une manière générale, la fibre écologique demeure difficile à trouver localement, à certifier et à tisser. La soie, par exemple, un peu à l’image de la laine, est teintée principalement en Asie, avec des colorants azoïques interdits en Europe (mais fabriqués par des sociétés européennes !). Autre détail pour cette fibre pourtant recherchée : les mûriers asiatiques sont souvent des OGM…

Malgré ces difficultés, et grâce à une forte demande, la mode se fait plus éthique aussi bien en couture qu’en prêt-à-porter, du sportswear aux robes de mariage, avec des modèles très créatifs et une finition plus soignée. Kami Organic, lancée en 2008 par Didier Willard, se positionne sur l’industrie couture, plus luxe, le « Chic by Nature ». Karawan authentic, une marque lyonnaise créée en 2004 par Christine Delpal, joue l’alternance entre l’épaisseur de la laine et la transparence de la soie. Parmi nos coups de cœur : des foutas traditionnelles en coton certifié, tissage jacquard.

Les grandes chaînes se mettent au vert

Les grandes enseignes « poids lourds » du prêt-à-porter ont bien sûr pris la vague. Elles intègrent désormais à leurs collections des modèles bio ou écoresponsables. H&M et sa gamme Conscious en coton bio, Marks & Spencer, Monoprix ou encore Zalando, une enseigne d’e-commerce berlinoise qui propose des vêtements (One Green Elephant) et chaussures écologiques (les ballerines Jonny’s Vegan fabriquées avec des matières écologiques, et les chaussures Think ! en cuir tanné sans solvants ni produits chimiques). Le 18 août, la chaîne de magasins discount Lidl a mis en rayons une gamme de vêtements en Lenzing Modal, une autre fibre de lyocell (pulpe de bois) développée en Autriche dans les années quatre-vingt-dix.

Au-delà de l’engagement

En France, Ekyog, qui a fêté ses dix ans l’an dernier, est une valeur (plus) sûre. La marque s’est engagée à respecter les conditions de travail, la santé et le salaire de ses employés et à faire un geste pour l’environnement en n’utilisant que des matières naturelles ou écologiques comme le coton bio, la laine, les fibres de bois, la soie, le polyester recyclé, le lin ou le cuir végétal. En lançant son organisation, Terre d’Ekyog, à qui elle reverse chaque année 10 % de ses bénéfices, Ekyog finance des projets liés à l’agriculture biologique dans le monde.

Autre succès, celui de La Vie devant Soie. Créée il y a douze ans par Sandy Blain, récompensée à sept reprises pour son projet, cette marque permet à des femmes cambodgiennes d’accéder à l’indépendance grâce à leur savoir-faire dans le tissage traditionnel de la soie avec, notamment, une revalorisation de tissus chinés à travers le pays et une formation en couture proposée à des personnes sourdes et muettes.

Marron Rouge, une marque qui rhabille nos idées reçues sur le recyclage avec des accessoires très réussis en ceinture de sécurité, chambre à air, pneu, toile de sac de transport de parachute, Peau éthique (site de lingerie bio), Originby (spécialiste français de l’édition unique de vêtements et accessoires)… Le marché de la mode éthique qui couvre la France est en pleine expansion. Il se compose essentiellement de petites structures de moins de dix salariés mais l’offre, avec la multiplication des points de vente et la vente en ligne, s’est considérablement diversifiée ces dernières années. Malgré un ralentissement dû à la crise, cette tendance à la hausse du marché éthique, qui a véritablement décollé en 2008-2009, devrait prendre de l’ampleur à l’horizon 2015 pour occuper 5 à 15 % du chiffre d’affaires global de l’habillement, contre 1 à 2 % aujourd’hui. C’est l’un des 34 secteurs d’avenir promus par les pouvoirs publics. 

1. Les pieds sur terre, la mode éthique, Public Sénat, 19 mars 2014.

 

En savoir plus :

www.ethique-sur-etiquette.org

www.biotissus.com

www.marie-cabanac.com

www.1083.fr

www.ifth.org

www.bio-normandie.org

www.originby.com

www.patagonia.com

www.bioequitable.com

www.ademe.fr

www.global-standard.org/fr

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