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La teinture du textile au naturel : dans l'atelier de Sandrine Rozier

La teinture du textile au naturel : dans l'atelier de Sandrine Rozier

Derrière le portail en fer d’une petite rue montpelliéraine se cache l’atelier de teintures naturelles de Sandrine Rozier, costumière de son métier. Le matin de notre visite, accompagnés par une brise plutôt fraîche, quelques stagiaires s’activent autour de leurs fourneaux, scrutant et touillant d’étranges soupes. Dans un liquide vert sombre à la franche odeur d’épinard, des bandes de tissus mijotent dans une eau frémissante. « J’ai l’impression de jouer à la sorcière avec ces marmites, ça me plaît », commente Cécile, amusée par cette cuisine en plein air, mais concentrée sur l’imprégnation de son tissu.

La riche palette de dame nature

Les teintures naturelles, c’est bien simple, c’est entrer dans le monde merveilleux de la chimie avec un accès aussi facile que celui de mettre les pieds dans une cuisine, lancer sa tambouille et s’étonner de la beauté du plat si l’on a bien suivi la recette. « Dans une plante, il y a une synergie de plusieurs colorants qui interagissent et qui sont composés de plusieurs molécules ; une couleur industrielle est composée d’une molécule isolée, qui ne donnera pas un nuancier et une gamme aussi subtile et riche », explique Sandrine Rozier. Pour créer ses couleurs, la nature dépasse donc largement les compétences des hommes.

Le temps de ces quelques explications, il est temps de sortir les bandes de coton, soie et laine qui se sont imbibées de colorant pendant 45 minutes. Sur l’étendoir, le jaune de la gaude, l’orange flamboyant du coréopsis, le rouge de la garance et les verts obtenus avec un mordant de fer alternent comme des drapeaux de prière tibétains.

Garder le fil du savoir-faire

Le savoir-faire européen a largement mis en lumière les couleurs naturelles jusqu’au XIXe siècle et l’arrivée des grandes productions industrielles, qui ont précipité leur oubli. Mais certains pays ont conservé cet art de la haute teinture : « Au Japon, la teinture végétale est un art reconnu et vivant, que l’on enseigne dans les écoles », constate la créatrice. Sous toutes les latitudes, aujourd’hui, un regain d’intérêt se fait jour pour les teintures naturelles. Le Symposium international des teintures et colorants naturels a ainsi rassemblé 600 personnes lors de sa dernière édition en 2011, à La Rochelle.

Car, aussi naturelles soient les techniques qui en sont issues, les plantes sont loin d’avoir encore livré tous leurs secrets à la science. « On a besoin d’une mise en commun pour avancer sur les grands principes des teintures, on n’a pas encore étudié la véritable chimie des plantes », souligne Sandrine Rozier. Elle-même s’investit auprès du centre Avani de Digoli, en Inde, dans une région où les perspectives d’avenir sont limitées pour les femmes et où il a fallu repérer les plantes tinctoriales dans l’environnement local, réapprendre les gestes de la fabrication et de la teinture du textile et créer ainsi une filière qui fonctionne. « J’ai eu la chance de croiser un savoir ancestral, on m’a donné beaucoup, ça ne m’appartient pas et il faut que cela continue à vivre », résume cette citoyenne du monde passionnée, que rien ne prédisposait pourtant à prendre ce virage vers la teinture végétale.

Un jardin dans les Cévennes

Formée par l’Institut français de la mode, Sandrine Rozier a effectué un bref passage chez Yves Saint Laurent puis a travaillé quelques années auprès du couturier Dries Van Noten. Elle aurait pu se cantonner à ce microcosme parisien. Un coup de fil a suffi à changer cette orientation. Pour suivre son mari, Sandrine prend la route des Cévennes. Elle croisera Michel Garcia, le fondateur du Jardin conservatoire des plantes tinctoriales, un éminent spécialiste de la couleur végétale à l’engouement contagieux. « J’ai pris des couleurs plein les yeux, griffonné trente pages sur un carnet et fait une découverte sensible qui m’a donné envie de découvrir cet univers et d’aller plus loin », se remémore la créatrice. Cette première rencontre en amènera beaucoup d’autres.

Dominique Cardon, spécialiste de l’histoire et de l’archéologie du textile et des couleurs, Médaille d’argent du CNRS en 2011, est, à elle seule, la fibre des tissus et de leur mémoire. Munie de sa loupe binoculaire, elle a passé au crible les textiles néolithiques du lac de Paladru, à Charavines (Isère), pour retrouver les techniques de l’époque.

Le secret des cuves

Après quatre siècles d’oubli, cette chercheuse pugnace a retrouvé dans un traité florentin de 1418 le secret des cuves pour teindre en bleu, avec des feuilles de pastel. Mais point de nostalgie chez les professionnels de la teinture végétale d’aujourd’hui. « Certains pratiquent la teinture naturelle comme au XVIIe siècle. Ils ramassent toutes les plantes dans leur jardin, font des décoctions, des bains, rincent 25 fois… Moi je veux optimiser tout ça, moderniser les techniques par des produits propres ouverts au plus grand nombre », assure Michel Garcia. L’environnement reste la première préoccupation de ces artisans. « On ne balance pas dans la nature de bains pollués, chargés en eau toxique, comme dans la teinture issue de la pétrochimie, se défend Sandrine Rozier, je peux arroser mes plantes avec mes vieux bains décolorés. »

Retour en scène

L’économie des ressources est aussi au centre des préoccupations des laboratoires qui commercialisent les colorants naturels. Parmi eux, le laboratoire Couleur de Plantes, à Rochefort, travaille avec les agriculteurs locaux dans un esprit de respect de la ressource et de l’environnement. « Les colorants naturels sont une tendance du moment et un marché en devenir, où les avancées technologiques démarrent et où il reste un nombre incalculable d’espèces à découvrir ou à retrouver », explique Fabienne Cozic, sa directrice commerciale. L’intérêt des industriels ne trompe pas puisque la majorité du chiffre d’affaires de Couleur de Plantes se fait avec les industries du textile et de la cosmétique, des PME et des artisans. Seulement 5 % des ventes sont à destination du grand public.

De costumes de cirque en costumes de scène, Sandrine Rozier contribue à pousser sous les projecteurs la teinture naturelle. Christelle Morin, la responsable de l’atelier des costumes de l’Opéra-comique confie elle aussi être « tombée dans la marmite ». « Quatre-vingt-dix pour cent des costumes du spectacle “Marouf, le savetier du Caire” (ndlr : à l’affiche de mai à juin 2013) sont en teintures naturelles. C’est magique, les couleurs se répondent, une harmonie se crée, la nature ne fait pas de faute de goût », conclut la nouvelle convertie.

(Photos ©Émilie de Welle/ Bio Info).

 

Découvrir

Le paradis végétal des teinturiers

 Sur les terrasses du château de Lauris, dans le Vaucluse, s’épanouit un jardin botanique unique en Europe. Plus de 250 espèces de plantes utiles pour la teinture, la peinture, l’encre et l’alimentation y sont cultivées. Le Jardin conservatoire des plantes tinctoriales a été fondé il y a plus de dix ans par le chercheur, botaniste et maître teinturier Michel Garcia. Pour le public, ce jardin des merveilles propose des visites, des ventes de plants ou de graines, des stages de teinture naturelle et des expositions d’artistes de la couleur végétale. Maison Aubert, La Calade, 84360 Lauris, 04 90 08 40 48, www.couleur-garance.com.

 

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